Les courants que nous venons d’évoquer brièvement se sont épanouis dans plusieurs pays d’Europe. La France n’est pas restée en dehors de leur influence, même si elle n’a pas été la plus directement concernée ; beaucoup de ceux qui en étaient porteurs se sont croisés ou rencontrés sur son sol, en particulier à Paris.
Gerda ALEXANDER est venue souvent et longuement en France. Elle y trouvait un terrain ouvert et d’anciennes amitiés facilitant la présentation de ses travaux, ce qui lui ouvrait de nouvelles portes.
Le contexte était favorable. Si nous prenons comme indicateur (reflet d’une facette de la société du moment) l’Education Physique dispensée dans les Lycées, c’est le moment où l’ère doctrinale de la « Méthode Naturelle » de Georges HEBERT (1875-1957) s’effrite. L’idée (la nostalgie ?) de pratiquer « en pleine nature » les gestes « qui sont ceux de notre espèce » flotte encore au-dessus des « plateaux aménagés » standardisés où le « travail par vagues » développe le cœur et les poumons d’élèves pratiquant de façon soutenue la marche, la course, le saut, le lancer, etc. censés représenter les activités habituelles du « sauvage », évidemment bon, issu de l’imaginaire de J.J. ROUSSEAU (1712-1778). Cela en état de « nudité décente ». On veut obtenir des individus robustes et rustiques, capables d’adaptation et aptes, entre autres, au combat. Cependant la référence aux qualités « viriles et morales », issue d’une période antérieure, s’estompe.
Les aspects que nous évoquons incitent à parler de cette méthode avec quelque légèreté. Mais il faut aussi considérer ce qu’elle eut de révolutionnaire en son temps. Elle accordait la première place au mouvement grâce à des parcours en « pleine nature », choisis pour solliciter des formes variées de motricité et incluant quelques sollicitations propres à compléter la gamme des gestes « qui sont ceux de notre espèce ». C’était une véritable rupture avec l’espace réduit et le caractère construit des méthodes – en particulier celle de l’Ecole de Joinville – qui l’avaient précédée.
Nous retrouvons là, mais déclinées autrement, ces idées de développement corporel et de nature évoquées ci- dessus et dont les nombreux avatars connaissent des fortunes diverses. Notons au passage le sens accordé aux termes nature et naturel.
Dans le même temps, les « Centres de rééducation » pour enfants et adolescents se développent pour « récupérer » les déficiences, surtout morphologiques, dont les insuffisances alimentaires dues à la guerre et à ses séquelles sont en partie responsables. Il faut remodeler des morphologies et récupérer une vitalité, avec l’influence des normes du moment.
Environ les années 50, tout cela commence à s’essouffler. Il en reste un regard incertain porté sur le corps. L’hésitation à préconiser nettement des lignes d’action fait que l’on parle « d’éclectisme », avec la marge de liberté que cela suppose… C’est aussi le moment où les travaux du genevois Jean PIAGET (1896- 1980), étudiant la succession et l’enchaînement des moments du développement de l’enfant, sont diffusés en France ; ils remportent un grand succès, exerçant une influence positive, même si leur interprétation n’est pas toujours conforme aux intentions de l’auteur. D’autres mouvements novateurs, avec des visions nouvelles de l’individu, se développent. Henri WALLON (1879-1962) fonde en 1927 le « Groupe français d’éducation nouvelle ». Il publiera en 1942 « De l’acte à la pensée », dont bien des passages peuvent être mis en rapport avec les idées directrices et la démarche de l’Eutonie.
Cette « Education Nouvelle », avec ce qu’elle comporte et reflète, nous aurons l’occasion d’en reparler, pour sa congruence avec l’eutonie et l’importance de leur rencontre.
En dehors de ces apports d’idées et de pratiques plus ou moins institutionnalisés, signalons, l’enseignement de François MALKOVSKY (1889-1982). Originaire de la région de Prague, il arrive en France en 1910, voit danser Isadora DUNCAN et se consacre à l’étude du mouvement humain. Après une carrière scénique, il enseigne, parlant de « lois universelles du mouvement » et « cherchant un certain déconditionnement et une libération des réflexes naturels ». Nous trouvons là une parenté certaine avec l’enseignement de Gerda ALEXANDER.
Voir aussi : Les origines + Suisse - Amérique - Allemagne